Sept
Chansons pour chœur mixte a capella (1936)
1. La blanche neige, Poème de Guillaume
Apollinaire (Alcools)
La blanche neige
Les anges les anges dans le ciel
L'un est vêtu en officier
L'un est vêtu en cuisinier
Et les autres chantent
Bel officier couleur du ciel
Le doux printemps longtemps après Noël
Te médaillera d'un beau soleil
D'un beau soleil
Le cuisinier plume les oies
Ah ! tombe neige
Tombe et que n'ai-je
Ma bien-aimée entre mes bras
FORME
La forme musicale n’épouse pas strictement celle
du poème dans l’enchaînement des deux premières strophes, puisque le vers Bel
officier couleur du ciel fait plutôt office de transition entre les parties
musicales A et B.
forme poétique |
|
forme
musicale |
chiffres
partition |
A B C |
Les anges
les anges dans le ciel |
A B C |
1 2 3 |
L’ensemble fait appel à de
nombreux contrastes de texture et de couleur, de jeux de registre. Le chœur a
capella est ici traité avec un sens des sonorités qui en font un traitement
quasi orchestral. Les combinaisons de texture sonore balisent la pièce de
la façon suivante :
- Tutti homophonique pour A,
avec processus de densification rythmique entre les mesures initiales et les
mesures 3-6 ;
- Mélodie accompagnée
(soprani) pour B encadré au début par une transition à deux voix mixtes
(soprani et ténors), mesure 8-9) et à la fin par un conduit d’alti sans texte
(fin de la mesure 14-15) ;
- Les variations de textures
s’amplifient vers la fin : mélodie accompagnée (ténors, mesures 16-17 et
alti mesures 18-19, dans le même timbre) ; puis tutti homophonique pour
finir.
HARMONIE
Mesures 1-2, Les anges dans le
ciel
La seconde
partie de l’incise est la duplication libre de la première. Le compositeur
insiste sur une pédale de la à la basse, tonique du ton de la mineur, qui sera
brodé par son ton homonyme de FA Majeur dès la mesure 2.
Exemple 1
Mesures 3-4, L’un est vêtu en
officier L’un est vêtu en cuisinier
Suivant
l’organisation du texte, on a deux sous incises, la seconde étant la
duplication libre de la première :
L’un est vêtu en officier |
L’un est vêtu en cuisinier |
I ----------------------------- I |
I
---------------------------- V |
L’ensemble
se résume donc à un enchaînement I-V en la, ton
principal. Le degré de la tonique se voit interpolé deux fois par une mélodie
d’accords non fonctionnels ; chaque voix est une extension de note
stricte.
Le
degré de la dominante, placé sur les trois dernières croches, est modal (sans
note sensible : sol 8 au lieu de sol #). Il est interpolé sur la
deuxième croche (notes de passage, broderie et appoggiature, respectivement
voix d’hommes, alti, ténors).
Exemple 2
Mesures 5-6, Et les autres chantent
Dans
un balancement tonique - dominante dans le ton principal, le compositeur scinde
pour la troisième fois cette séquence en deux, la seconde partie dupliquant
librement la première pour s’achever sur la dominante.
Exemple 3
L’extrême
simplicité de ce parcours harmonique est coloré par la
nature de l’harmonie de dominante, dont le réservoir de notes fait apparaître,
en plus des cinq notes de l’accord de neuvième de dominante :
-
la tierce modale alternant
avec la note sensible
-
l’équivalent-quinte
si $ alternant avec la quinte juste si 8 (soprani, ténors).
Exemple 4
Remarquons que ces deux points provoquent
par des fausses relations chromatiques, ce dont Poulenc ne se soucie pas.
Mesures 7-9, Bel officier couleur du ciel
Une
monodie d’alti (trois soli) s’enchaîne à un bicinium autres
alti-soprani (trois soli à chaque voix), dans lequel
il y a croisement de voix, les alti passant au-dessus des soprani (effet de
timbre). Nous présentons la partition en rétablissant les registres.
Exemple 5
Tant
la mélodie que le binicium insistent sur le degré
modal de la dominante du ton. L’ensemble s’inscrit dans une ambiance
d’hétérophonie, engendrant des intervalles consonants de tierce (quatre
occurrences), de quinte (trois occurrences) et de sixte (une occurrence), de
caractère archaïque.
Chacune
des mélodies est une extension de note, la seconde sous incise, sur la quinte
mi-si, étant l’amplification de la première.
Exemple 6
Mesures 10-14, Le doux
printemps après Noël Te médaillera d’un beau soleil
C’est
la partie centrale de la pièce, au contenu harmonique le plus dense faisant
appel à la technique de double logique harmonique.
Il se
présente sous la forme d’une mélodie accompagnée (tutti des soprani).
Exemple 7
La
partie de basse fait entendre, en valeurs globalement longues, une double
séquence ré - sol - do, légèrement brodée en sa seconde partie, et qui se
conclut sur l’enchaînement si-mi. On peut y entendre
une logique tonale II -V - I (redoublée) dans le ton
relatif de DO, s’enchaînant à V de V - V en la.
Exemple 8
Mais
cette basse est contrariée par l’harmonisation qui en est faite aux voix
supérieures. On y entend en effet par deux fois (sur les deux séquences de
basse) une descente d’accords chromatique sur fondamentales fa #-fa 8- mi. La rupture avec cette logique s’effectue sur l’enchaînement de
basse si -mi qui retrouve une harmonisation plus classique : V de V modal
- V.
La duplication est libre sur le plan harmonique,
puisque le deuxième accord est mineur sur la première séquence (fa) et majeur
sur la seconde (FA). D’autre part, la mélodie d’accords est en position quarte
et sixte dans la première séquence, et s’oriente vers des accords parfaits à la
seconde. Enfin, le traitement rythmique et mélodie varie
de l’une à l’autre. Seules quelques rares notes de passage, en particulier aux
soprani (mesure 11), rompent avec la logique stricte de cette séquence.
Exemple 9
L’appui
tonal sur la dominante est légèrement désamorcé par la transition des alti
(vocalisée sur le son Ah, et non
sur le texte du poème), qui brodent autour de la dominante modale, d’où le sol 8. Le mode est défectif (sans le do).
Exemple 10
Mesures
16-19, Le cuisinier plume les oies.
La résolution s’effectue brièvement sur le premier
temps de la mesure 16, puis la pédale de mi des alti et son homologue strict en
sons réels des ténors, ce qui donne une symétrie formelle.
Exemple 11
La pédale de mi est en extension de note dans la
mélodie chantée et les mesures 18-19 sont la réplication libre des mesures
16-17 avec échange des registres et variation de l’interpolation.
Exemple 12
Cette pédale de
mi reprend la dominante du ton. Comme aux mesures 5-6, on a le jeu entre quinte
juste si 8 et l’équivalent-quinte
(quinte abaissée) et si $ et tierce modale d’une part, et sol 8/note sensible sol #. Mais le procédé est amplifié par rapport à ces
mesures 5-6, puis qu’on entend également la neuvième majeure fa # en complément
de la mineure fa 8.
Exemple 13
Mesures
20-23, Ah ! tombe neige Tombe et que n’ai-je Ma bien aimée entre mes
bras
Les mesures 20-21 sont très similaires aux mesures
5-6, soit le balancement tonique - dominante, avec les mêmes caractéristiques
concernant cette dernière harmonie. La mesure 22 est très similaire à la mesure
4
Exemple 14
On voit comment la duplication des trois mesures du
début ne s’effectue pas simplement par modification de détail du contenu mélodico-harmonique, mais également par inversion de
l’ordre de ces mesures, autour des mesures centrales faisant pivot (mesures
6/21), d’où un nouveau type de symétrie formelle.
5 |
6 |
4 |
≈ |
||
20 |
21 |
22 |
La résolution finale de cette
pièce en la s’effectue sur un accord majorisé de LA
amplifié par la présence de sa septième mineure sol, sa neuvième majeure si 8 et son équivalent-quinte (ou sixte ajoutée)
fa #. Bien qu’ayant une structure typique d’accord de dominante « à la
Poulenc », il s’agit bien d’une tonique (en fonction contrariée).
Exemple 15, La blanche neige
Bien qu’ayant une structure
typique d’accord de dominante « à la Poulenc », il s’agit bien d’une
tonique (en fonction contrariée).
Exemple 16, réduction de l’harmonie de tonique
La présence de l’équivalent-quinte fa # dans cette harmonie donne un agrégat
qui peut se réduire à une superposition de quartes (dont une augmentée). Mais
ce n’est qu’un artefact dans une harmonie qui reste tonale.
Exemple 17, superposition de quartes